Le marché des calculs biliaires bovins

2025-11-26 | Calculs biliaires de bovins (FR)

Le marché des calculs biliaires bovins : Chine, Amérique latine et la question de la stabilisation

Les calculs biliaires de bovins – souvent appelés cow bezoar ou Calculus bovis / niu huang – sont un produit minuscule par le volume, mais gigantesque par la valeur. Issus de la vésicule biliaire ou des voies biliaires de bovins, ils sont utilisés comme ingrédient clé de certains médicaments de la pharmacopée traditionnelle chinoise, notamment l’Angong Niuhuang Wan, pilule emblématique dans la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux et de certains états fébriles graves.

Pendant les années 2020, ce petit sous-produit des abattoirs est passé du statut de curiosité à celui d’« or brun » : sur certains marchés asiatiques, les meilleurs lots de niu huang naturel ont atteint des valeurs extraordinaires. Cette envolée a attiré spéculateurs, intermédiaires et trafics, tout en poussant la Chine à sécuriser ses approvisionnements.

Aujourd’hui, avec l’ouverture de nouveaux canaux d’importation en Amérique latine – en particulier en Uruguay et en Argentine – la dynamique change. Le ressenti de nombreux collecteurs est celui d’un marché toujours à la baisse par rapport aux sommets récents. La question centrale devient alors : le marché va-t-il se stabiliser, et à quel niveau ?

1. Un marché chinois structurellement déficitaire en offre

La demande finale en calculs biliaires bovins est très largement tirée par la Chine continentale et Hong Kong. La production locale de vrai niu huang naturel en Chine reste pourtant très limitée, alors que la demande annuelle est estimée à plusieurs milliers de kilos. L’écart entre la production domestique et les besoins de l’industrie pharmaceutique se chiffre en tonnes.

Ce déficit structurel est couvert par deux grands leviers : d’une part les importations (directes ou via Hong Kong), d’autre part les substituts, notamment les calculs biliaires cultivés et les produits de synthèse. C’est cette rareté du produit naturel qui explique la flambée des prix observée à partir de 2017–2018, avec un pic spectaculaire dans les années qui ont suivi la pandémie de Covid-19.

2. De l’envolée spéculative à une phase de correction

2.1. La phase haussière jusqu’en 2023–2024

Durant cette période, les médias chinois ont décrit une véritable « fièvre du niu huang ». Les prix se sont envolés à mesure que la demande augmentait et que les volumes restaient limités. Certaines transactions au sommet du marché ont atteint des niveaux qui dépassaient largement le prix de l’or, ce qui a alimenté la spéculation.

Les fabricants de produits de médecine traditionnelle à base de niu huang ont vu leurs coûts de matières premières s’envoler. Dans le même temps, les ventes d’Angong Niuhuang Wan et de produits associés ont continué à progresser, soutenues par la croissance du marché intérieur chinois, le vieillissement de la population et la place croissante accordée à la pharmacopée traditionnelle dans le système de santé.

2.2. Tournant 2024 : ouverture des importations et début de correction

Face à cette tension extrême, les autorités chinoises ont commencé à réorganiser les canaux d’approvisionnement. D’un côté, des programmes d’importation mieux encadrés ont été mis en place afin de sécuriser le volume tout en desserrant l’étau des prix. De l’autre, les substituts – calculs biliaires cultivés et produits de synthèse – ont commencé à prendre une place significative dans l’industrie.

Concrètement, les signaux observés depuis 2024 sont ceux d’un marché en correction :

  • recul des prix de sommet, après des niveaux jugés intenables par de nombreux acteurs ;
  • acheteurs plus sélectifs sur la qualité, avec des écarts de prix plus marqués entre lots premium et lots standard ;
  • montée en puissance des substituts, qui agissent comme une soupape de sécurité sur la demande en niu huang naturel.

Du point de vue des abattoirs et collecteurs, cette phase se traduit par un sentiment de marché toujours à la baisse : les prix proposés en 2025 restent élevés en valeur absolue, mais sont largement inférieurs aux sommets atteints au plus fort de la spéculation.

3. L’ouverture à l’Amérique latine : Uruguay, Argentine… et au-delà

L’un des tournants majeurs récents du marché est l’ouverture accrue de la Chine aux calculs biliaires bovins en provenance d’Amérique latine. L’Uruguay a été l’un des premiers pays de la région à structurer ce flux, avec des accords permettant l’exportation de calculs biliaires vers la Chine en tant que matière première pharmaceutique à forte valeur ajoutée.

Autour de ce mouvement, un projet d’usine à capitaux chinois en Uruguay vise à collecter, trier et transformer les calculs biliaires provenant de toute la région (Uruguay, Argentine, Brésil) afin de les exporter vers la Chine. Ce type de plateforme régionale joue un rôle clé :

  • consolider l’offre d’une zone où le cheptel bovin est immense ;
  • harmoniser les standards de qualité et de traçabilité ;
  • faciliter la logistique et la conformité sanitaire vis-à-vis des autorités chinoises.

Pour l’Argentine, la signature de protocoles sanitaires spécifiques a ouvert la voie à des exportations directes de calculs biliaires bovins vers la Chine. Compte tenu du poids de la filière bovine argentine et de ses liens déjà étroits avec le marché chinois de la viande, ce nouveau débouché constitue une source de valorisation supplémentaire pour un sous-produit extrêmement rare mais très prisé.

Au total, ces ouvertures sud-américaines s’ajoutent aux flux existants en provenance du Brésil, de l’Australie, des États-Unis ou encore de certains pays européens. Elles renforcent considérablement la capacité d’approvisionnement de la Chine en niu huang naturel.

4. Le marché « toujours à la baisse » : une correction plus qu’un effondrement

Affirmer que le marché est toujours à la baisse reflète bien la perception des acteurs de l’amont, mais il faut le replacer dans son contexte. La baisse se fait à partir de niveaux exceptionnellement élevés, atteints au plus fort de la bulle spéculative.

Trois éléments méritent d’être soulignés :

  1. La correction part d’un sommet anormalement élevé : les prix de certains lots premium ont atteint des niveaux difficilement soutenables pour l’industrie, avant de refluer sous l’effet combiné des importations accrues et des substituts.
  2. La pression se concentre sur les prix à la ferme et à l’abattoir : les offres d’achat sont moins agressives, les critères de qualité plus stricts, et les lots de qualité moyenne sont davantage reclassés à la baisse.
  3. La concurrence des origines et des produits de substitution s’intensifie : Amérique latine, Océanie et Europe se retrouvent en compétition, tandis que les calculs biliaires cultivés et les produits synthétiques offrent des alternatives crédibles pour certains usages.

Ainsi, le marché reste en phase de correction et de normalisation. Pour les abattoirs et collecteurs, il est logique d’observer un marché orienté à la baisse, alors même que la rentabilité des lots de bonne qualité demeure très élevée par rapport à la plupart des autres sous-produits bovins.

5. L’ouverture latino-américaine va-t-elle stabiliser le marché ?

5.1. Les forces de stabilisation

Plusieurs facteurs militent en faveur d’une stabilisation progressive du marché des calculs biliaires bovins :

  • La diversification de l’offre : l’accès structuré aux calculs uruguayens et argentins, en complément d’autres origines, donne à la Chine plusieurs leviers d’approvisionnement sur un cheptel sud-américain considérable.
  • Des canaux officiels mieux contrôlés : les protocoles sanitaires, les exigences de traçabilité et les contrôles à l’export et à l’import réduisent l’espace laissé aux circuits informels, ce qui tend à limiter les emballements spéculatifs liés à la pénurie perçue.
  • Une segmentation plus nette du marché : niu huang naturel premium, gallstones standard, produits cultivés et synthétiques constituent désormais des catégories distinctes, avec des niveaux de prix différents. Cette segmentation permet de réserver les prix les plus élevés aux lots vraiment exceptionnels.
  • Une croissance de la demande plus modérée : après des années de forte expansion, la demande en produits à base de niu huang continue de croître, mais sur une base plus large et à un rythme moins explosif, ce qui favorise un scénario de plateau plutôt que de nouvelle envolée.

5.2. Les forces de volatilité

En parallèle, certains facteurs continueront d’entretenir une volatilité significative :

  • La rareté intrinsèque du niu huang naturel : seuls quelques bovins sur un grand nombre développent des calculs biliaires de qualité médicinale. Le marché restera donc exposé aux aléas climatiques, sanitaires et conjoncturels qui affectent l’abattage.
  • Le risque réglementaire et réputationnel : la sensibilité grandissante autour des produits d’origine animale utilisés en médecine traditionnelle peut conduire à des changements rapides de réglementation ou d’acceptabilité sociale.
  • La spéculation sur un marché opaque : les informations sur les prix réellement payés pour les lots premium restent limitées, ce qui laisse la porte ouverte à des mouvements spéculatifs dès qu’une rumeur de pénurie circule.

5.3. Scénario central à moyen terme

En croisant ces éléments, un scénario central plausible pour les trois à cinq prochaines années serait le suivant :

  • Un prix moyen en baisse par rapport aux sommets, mais stabilisé à un niveau historiquement élevé : le marché sort de la phase d’euphorie, mais ne revient pas aux prix d’il y a dix ans.
  • Un écart grandissant entre lots premium et lots standard : les calculs de très haute qualité, bien traçables et très recherchés, conserveront des prix d’exception, tandis que les lots ordinaires subiront davantage la pression concurrentielle.
  • Un rôle accru des hubs régionaux comme l’Uruguay : ces plateformes, capables de centraliser l’offre sud-américaine et de dialoguer avec les grands acheteurs chinois, deviennent des acteurs clés de la stabilisation du marché mondial.

6. Conclusion : un marché moins euphorique mais durablement lucratif

Le marché des calculs biliaires bovins se trouve aujourd’hui dans une phase de transition. Après une envolée spectaculaire des prix, portée par la demande chinoise et une offre extrêmement limitée, la tendance est désormais à la correction. Le marché reste orienté à la baisse par rapport aux sommets de 2023–2024, mais il évolue vers une forme de normalisation à un niveau élevé.

Pour les abattoirs, collecteurs et traders, l’enjeu n’est plus de parier sur une hausse infinie, mais de s’adapter à cette nouvelle configuration : sécuriser la qualité et la traçabilité des lots, comprendre la segmentation du marché entre naturel, cultivé et synthétique, et construire des relations solides avec les acheteurs chinois, désormais mieux approvisionnés et plus exigeants.

Dans ce contexte, l’ouverture des marchés d’Uruguay et d’Argentine, ainsi que l’intégration plus générale de l’Amérique latine dans la chaîne de valeur, devrait contribuer à la stabilisation progressive du secteur. Le niu huang naturel restera un produit rare et cher, mais le temps de la fièvre spéculative semble peu à peu s’éloigner, laissant place à un marché plus structuré, plus segmenté, et durablement lucratif pour les acteurs capables de répondre aux exigences de qualité et de conformité du marché chinois.