Calculs biliaires bovins : un marché en pleine correction

2025-12-08 | Calculs biliaires de bovins (FR)

Calculs biliaires bovins : un marché en pleine correction, vers la stabilisation ou une nouvelle chute ?

Les calculs biliaires de bovins – le fameux Calculus bovis ou niu huang – forment un marché minuscule par le volume, mais colossal par la valeur.

Grattés au fond de la vésicule biliaire de quelques bovins sur des milliers, séchés, triés puis exportés à prix d’or, ils sont devenus en quelques années l’un des sous-produits les plus chers de la filière viande, loin devant la langue ou les abats nobles.

Après une phase de véritable « fièvre spéculative » jusqu’en 2023-2024, les acteurs décrivent aujourd’hui un marché « qui n’arrête pas de baisser ». Pourtant, les prix restent, objectivement, stratosphériques : on parle encore de dizaines, voire de centaines de milliers de dollars le kilo pour les meilleurs lots.

L’enjeu, pour un abattoir, un collecteur ou un négociant, n’est donc pas de savoir si le produit garde de la valeur (il en garde beaucoup), mais si la correction actuelle va se poursuivre ou si le marché se dirige vers une forme de stabilisation à haut niveau.

1. Rappel : un produit rare, au cœur de la pharmacopée chinoise Les calculs biliaires bovins sont utilisés depuis des siècles dans la médecine traditionnelle chinoise (MTC). Sous le nom de Niu Huang (牛黄), ils entrent notamment dans la composition de la pilule Angong Niuhuang Wan, un remède emblématique utilisé dans les troubles neurologiques graves (AVC, comas fébriles, troubles de la conscience, etc.).

Quelques caractéristiques structurent ce marché : – Une demande finale ultra-concentrée en Asie, essentiellement en Chine continentale et à Hong Kong, où sont basés les grands fabricants de MTC et les distributeurs. – Une production naturelle extrêmement rare : on évoque environ 200 kg par an pour toute l’Australie, et environ 2 tonnes pour le Brésil, premier producteur mondial. – Un fossé structurel entre offre et demande : la demande pharmaceutique se mesure en tonnes, alors que la production naturelle mondiale de niu huang se situe très en dessous de ce niveau.

Ce déséquilibre explique que, dès les années 2010, les calculs biliaires soient déjà vendus plus cher que l’or dans certains marchés d’Asie.

2. La bulle des années 2020 : du « brown gold » à l’euphorie spéculative

2.1. Explosion de la demande en Chine Les importations mondiales de calculs bovins via Hong Kong ont fortement progressé entre 2019 et 2023, dopées par la hausse des ventes d’Angong Niuhuang Wan et de préparations proches, par le vieillissement de la population chinoise et par la montée en puissance de la MTC dans le système de santé. Dans les médias chinois et hongkongais, les calculs de bœuf sont décrits comme un « nouvel or », alimentant une fascination populaire et des attentes spéculatives.

2.2. Prix stratosphériques et dérives Dans ce contexte, les prix se sont envolés :

– En Australie, la presse spécialisée évoque des prix pouvant atteindre plus de 300 000 AUD/kg pour des lots de première qualité. – En Amérique du Sud, certains accords commerciaux positionnent les calculs biliaires exportés à près de 250 000 USD/kg. – Des acheteurs européens spécialisés annonçaient encore, il y a peu, des prix maximum autour de 150 000 USD/kg, avant de réviser leurs barèmes très fortement à la baisse. Des articles internationaux décrivent une flambée de la contrebande, notamment au Brésil, avec vols armés, circuits clandestins via Hong Kong et blanchiment d’argent, tant la valeur au kilo dépasse celle de l’or. Du côté australien, certains courtiers expliquaient déjà en 2024 que le niveau de prix était « ridicule » et non soutenable, parlant ouvertement d’une bulle spéculative.

3. Pourquoi le marché n’arrête-t-il pas de baisser ? À partir de 2024, plusieurs signaux convergent vers une phase de correction plutôt que de crise brutale. Le sentiment, en amont de la filière (abattoirs, collecteurs), est toutefois celui d’un marché « en baisse continue ».

3.1. Une correction depuis un pic anormalement élevé Des analyses spécialisées décrivent très clairement cette dynamique : après une « fièvre niu huang » où certains lots ont atteint des niveaux jugés intenables, le marché est entré en phase de normalisation, avec : – Recul des prix extrêmes observés au plus fort de la bulle. – Acheteurs plus sélectifs sur la qualité. – Élargissement des écarts entre lots premium et lots standards. Pour les fournisseurs, cette normalisation se traduit concrètement par des offres d’achat moins agressives et des lots moyens plus fréquemment déclassés – d’où une impression de baisse quasi permanente, même si les niveaux restent historiquement très élevés.

3.2. Ouverture de nouveaux flux :

Uruguay, Argentine, Brésil, etc. Un second facteur clé est l’ouverture, ou la structuration, de nouveaux canaux d’exportation vers la Chine, notamment en Amérique latine : – L’Uruguay a signé un accord autorisant l’exportation de calculs biliaires bovins comme matière première pharmaceutique de haute valeur, avec un projet d’usine destinée à collecter et trier les calculs de toute la région pour les expédier vers la Chine. – L’Argentine a conclu un protocole sanitaire détaillé avec la Chine pour l’exportation de calculs biliaires, en définissant des exigences strictes de traçabilité et de contrôle vétérinaire. Ces accords viennent s’ajouter aux flux déjà existants en provenance du Brésil, de l’Australie, des États-Unis et de l’Europe. Résultat : la Chine dispose désormais d’un éventail beaucoup plus large de fournisseurs, ce qui réduit son exposition aux tensions ponctuelles sur une seule origine et limite le pouvoir de négociation des vendeurs.

3.3. Levée partielle de l’interdiction d’importer en Chine Pendant longtemps, la Chine avait fortement encadré, voire restreint, l’importation de Calculus bovis naturel, par souci de sécurité sanitaire et pour encourager l’usage de substituts artificiels. En 2024 puis 2025, les autorités ont mis en place un programme pilote de deux ans permettant l’importation de niu huang naturel dans plusieurs provinces, sous des conditions très strictes de composition et de traçabilité.

En pratique, cela a eu un double effet :

1. Sécuriser des volumes via des canaux officiels, ce qui réduit la prime de risque associée aux circuits gris ou illégaux.

2. Renforcer le pouvoir de négociation des grands acheteurs chinois, capables de mettre en concurrence plusieurs origines et opérateurs.

3.4. Substituts cultivés et synthétiques :

la soupape de sécurité Face à la rareté et au coût vertigineux du produit naturel, la Chine a depuis longtemps développé des calculs « cultivés » (formés artificiellement à partir de bile bovine) et des formes synthétiques regroupées sous le terme Calculus Bovis Sativus. Les recherches pharmacologiques récentes montrent que ces formes artificielles peuvent reproduire une partie des effets neuroprotecteurs et hépatoprotecteurs du produit naturel, avec un profil de toxicité maîtrisé. Même si, dans l’esprit de nombreux praticiens de MTC, le naturel reste la référence, ces substituts offrent une soupape de sécurité : dès que le prix du niu huang naturel devient trop élevé, les laboratoires ont la possibilité de basculer une part de leurs formulations vers des formes cultivées ou synthétiques. Cela diminue la pression sur la demande de calculs naturels et contribue à la détente des prix.

3.5. Traçabilité renforcée et lutte contre la contrebande Les scandales de contrebande et les suspicions de fraude (lots mélangés, pierres d’autres animaux ou matériaux inertes imitant l’apparence des calculs) ont poussé les autorités comme les industriels à renforcer les contrôles : – Exigences de certificats vétérinaires détaillés à l’export. – Analyses chimiques pour vérifier la teneur en bilirubine et acides biliaires. – Vérifications renforcées à l’entrée sur le territoire chinois. Plus les flux passent par des canaux officiels, moins la prime risque justifiant des prix extravagants se maintient. L’assainissement du marché pèse donc aussi à la baisse, en particulier sur les circuits qui profitaient de l’opacité pour gonfler les marges.

3.6. Sélectivité accrue sur la qualité et segmentation des prix Des acteurs européens insistent sur l’importance croissante du classement par qualité : couleur, homogénéité, taille des pierres, taux d’humidité, absence de moisissures, etc. Dans le contexte actuel : – Les lots premium (pierres entières, bien sèches, couleur dorée, excellente traçabilité) continuent de bénéficier de prix exceptionnels. – Les lots moyens ou hétérogènes voient leurs prix nettement rogner, car les acheteurs peuvent désormais se tourner vers d’autres origines ou vers des substituts. Pour un abattoir qui ne produit qu’une poignée de grammes par an, souvent de qualité variable, cette segmentation se traduit concrètement par une baisse de prix moyenne ressentie comme continue, même si le top du marché reste très haut.

4. Cartographie rapide des principaux acteurs mondiaux Même si le marché est discret – certains diront opaque – on peut distinguer plusieurs grandes catégories d’acteurs.

4.1. Le pôle de demande :

Chine continentale et Hong Kong – Hong Kong joue le rôle d’interface historique, avec des importations de calculs bovins en forte croissance depuis 2019. – Les laboratoires de MTC (fabricants d’Angong Niuhuang Wan et de formules analogues) constituent le cœur de la demande. Leur stratégie d’approvisionnement (naturel vs cultivé/synthétique) influence directement le marché amont. À cela s’ajoutent d’autres marchés asiatiques (Japon, Corée, Taïwan) qui restent des clients de niche mais réguliers pour les lots de qualité.

4.2. Les grands bassins d’offre :

Amériques, Océanie, Europe Amérique latine – Brésil : premier producteur mondial de calculs bovins, avec potentiellement autour de 2 tonnes par an, dans un contexte marqué par la contrebande et des circuits informels. – Uruguay et Argentine : montent en puissance avec les nouveaux accords d’exportation vers la Chine, se positionnant comme fournisseurs « officiels » à haute valeur ajoutée. Océanie – Australie : marché très mature, avec des brokers spécialisés depuis plusieurs décennies, une collecte structurée et des prix historiquement élevés. Europe – Des entreprises espagnoles, françaises, irlandaises se sont imposées comme courtiers de référence, connectant abattoirs européens et acheteurs asiatiques. Afrique et autres régions – On voit émerger des offres en provenance d’Afrique (Kenya, Nigéria, etc.), souvent via des plateformes B2B et des sites de trading, mais le volume et la fiabilité de ces flux restent très variables.

4.3. Les intermédiaires spécialisés :

Acheteurs privés et plateformes B2B Enfin, un maillon clé du marché est constitué par des acheteurs privés très spécialisés, souvent basés en Europe ou en Asie, qui : – Fournissent des barèmes de prix actualisés. – Prennent en charge le tri, le séchage et l’agrégation des lots. – Assurent la logistique et la mise en conformité documentaire.

5. Vers où va le marché ? Baisse prolongée ou stabilisation à haut niveau ?

5.1. Les signaux en faveur d’une stabilisation

Plusieurs éléments convergent pour suggérer que la phase de grande correction pourrait laisser place, d’ici quelques années, à une forme de plateau à haut niveau :

1. Diversification et sécurisation des sources.

2. Canaux officiels et protocoles sanitaires stricts.

3. Segmentation claire entre naturel, cultivé et synthétique.

4. Croissance de la demande plus modérée après plusieurs années d’explosion. Dans cette logique, le scénario de base à moyen terme est celui de prix moyens inférieurs aux pics de 2023-24 mais stabilisés à un niveau historiquement élevé, avec un écart croissant entre lots premium et ordinaires.

5.2. Les facteurs qui peuvent encore tirer le marché vers le bas À l’inverse, plusieurs risques plaident pour la poursuite de la pression baissière, au moins sur certains segments : – Montée en puissance des substituts si les essais cliniques confirment leur efficacité. – Ouverture de nouveaux pays fournisseurs qui augmenteraient l’offre mondiale. – Durcissement réglementaire ou réputationnel sur l’usage d’ingrédients animaux rares. – Dégonflement complet de la composante spéculative autour du niu huang. Dans ce scénario, la baisse ne signifierait pas l’effondrement du marché – les calculs resteraient chers – mais les niveaux extrêmes deviendraient rares, réservés à quelques lots d’exception avec une traçabilité impeccable.

5.3. Un scénario de rebond reste possible (mais moins probable) Même si la dynamique actuelle oppose surtout « baisse continue » et « stabilisation », un scénario de rebond n’est pas à exclure : – découverte d’indications médicales nouvelles fortement créatrices de valeur ; – restrictions plus fortes sur les substituts ; – chocs sanitaires ou climatiques réduisant brutalement les abattages et donc l’offre. Compte tenu de la nature ultra-rare du produit, tout choc sur l’offre ou la demande peut générer des pics de prix ponctuels. Mais au vu de l’état actuel du marché, il s’agirait plutôt de hausses temporaires que d’un retour durable à la fièvre spéculative de 2023-24.

6. Quelles implications pour les acteurs (abattoirs, collecteurs, traders) ? Dans un marché en correction mais toujours très rémunérateur, plusieurs axes stratégiques se dégagent.

6.1. Miser sur la qualité et la traçabilité Les acheteurs sont de plus en plus sélectifs. Pour se positionner dans le segment des lots premium (ceux qui résisteront le mieux à la baisse) il devient essentiel de : – Mettre en place des procédures strictes de collecte à l’abattoir (identification des vésicules, récupération sans dommage, nettoyage soigneux). – Assurer un séchage lent, à l’abri de la lumière et de l’humidité, avec contrôle de la température, pour éviter moisissures et fissures. – Documenter l’origine des animaux (pays, type de production), les conditions de collecte et de stockage afin de répondre aux exigences croissantes des autorités chinoises.

6.2. Construire des relations directes avec les acheteurs spécialisés Le marché est dominé par quelques acheteurs-courtiers expérimentés, capables d’agréger les lots, de gérer la logistique internationale et de négocier avec les clients asiatiques. Pour un abattoir ou un collecteur : – Nouer des contrats de longue durée avec ces opérateurs peut offrir plus de visibilité et limiter la volatilité des prix. – Participer aux programmes de fidélité ou de bonus qualité proposés par certains acheteurs permet de sécuriser un débouché à des conditions relativement transparentes.

6.3. Adapter sa stratégie de prix :

éviter la spéculation locale Face à un marché qui baisse depuis un pic exceptionnel, la tentation est forte de stocker en espérant un nouveau sommet. Mais les signaux actuels (ouverture des imports, substituts, encadrement réglementaire) montrent plutôt une trajectoire de normalisation. En pratique, pour limiter les risques, il est généralement plus prudent de : – vendre régulièrement les volumes produits, en suivant les barèmes des acheteurs de référence ; – éviter de bloquer des stocks importants en pari sur une remontée hypothétique qui pourrait ne jamais retrouver les niveaux records de 2023-24.

7. Conclusion :

un marché moins euphorique, mais durablement lucratif Le marché des calculs biliaires de bovins sort d’une période de fièvre spéculative, tirée par la demande chinoise et par une perception quasi financière de ce « brown gold ». La phase actuelle est clairement une phase de correction : les prix reculent depuis leurs sommets, les acheteurs sont plus sélectifs, la concurrence entre origines et la montée des substituts pèsent sur les offres faites aux abattoirs et collecteurs. Pour autant, les niveaux restent exceptionnellement élevés au regard de l’histoire du produit et de sa rareté. Le dénouement le plus probable, à moyen terme, n’est ni l’effondrement complet ni le retour à la bulle, mais une stabilisation à haut niveau, avec : – un marché mieux structuré ; – des flux davantage officialisés ; – une segmentation marquée entre naturel premium, naturel standard, cultivé et synthétique. Pour les acteurs de la filière bovine, cela signifie que le calcul biliaire reste un co-produit extrêmement intéressant, mais qu’il doit être abordé non plus comme un ticket de loterie spéculatif, plutôt comme un marché de niche professionnel, exigeant sur la qualité, la traçabilité et la conformité réglementaire.

Autrement dit :

le temps de la ruée vers l’or brune touche à sa fin, mais le niu huang n’a pas fini de peser très lourd dans la valorisation des bovins – à condition de savoir s’adapter à ce nouveau paysage.